Un petit gin & tonic?

En ces temps incertains, pas étonnant que les English se réfugient derrière le bar en descendant des gin & tonics pour tout oublier. Le gin est devenu l’alcool fort préféré des Britanniques, devant la vodka, et les ventes se sont envolées ces dernières années. En 2018, ils en ont acheté 47 millions de bouteilles – de quoi faire 1.32 milliards de G&T. Et ce n’est pas que du Gordon’s ou du Beefeater: il y a à présent 315 distilleries de gin en Grande-Bretagne (plus du double d’il y a cinq ans) et les gins artisanaux aux parfums originaux, ou fruités comme les pink gins, sont de plus en plus demandés. Ce renouveau cache une histoire étonnante étroitement liée à celle du pays.

De genièvre à gin

Le genever hollandais, cette boisson forte à base de baies de genièvre, est découverte par les Anglais durant la Guerre de Trente Ans (1618–1648). Les soldats britanniques, se battant aux côtés des Hollandais contre les Espagnols, adoptent la boisson favorite de leurs alliés. Ils la surnomment tout de suite Dutch courage (“courage trouvé dans la boisson”, une expression toujours utilisée couramment aujourd’hui) et en ramènent chez eux à la fin du combat.

Le Gin Craze

Lorsqu’en 1688, Guillaume, le prince d’Orange des Pays-Bas, devient roi d’Angleterre, il taxe le vin français (il est en guerre avec eux) et encourage la distillation du gin, cet alcool néerlandais comme lui. Les Anglais abandonnent le brandy, ou Cognac, jugé peu patriotique, et le gin devient tellement commun qu’il sert de monnaie d’échange, certains ouvriers se faisant payer en gin.

Screen Shot 2019-01-16 at 16.27.17.png

C’est la période du Gin Craze, lorsqu’une pinte de gin est moins chère qu’une pinte de bière. En 1730, Londres est remplie de plus 7,000 dram shops servant cet alcool (souvent frelaté, mais quand même plus sûr que l’eau à l’époque). Et lors des Frost Fairs, lorsque la Tamise gelée devient un terrain de fête, les Londoniens viennent y déguster du gin chaud servi avec des pains d’épice, ou ‘gin and gingerbread’.

Le gin, mother’s ruin

L’emprise du gin sur la société est de plus en plus grande. En 1743, les Anglais consomment 10 litres de gin par personne par année. On l’appelle Blue Ruin, Madame Geneva ou bien “mother’s ruin” (il y a d’ailleurs un excellente distillerie du même nom à Walthamstow) car c’est l’opium du peuple, qui permet d’oublier la faim, les taudis, le travail dur. Pas difficile d’imaginer les dégâts de cet alcoolisme de masse… La fameuse gravure de Hogarth, Gin Lane, dépeint cette débauche:

Screen Shot 2019-01-16 at 15.04.33.png

Ainsi que ces quelques lignes de James Townley: “Gin cursed fiend, with fury fraught; makes human race a prey; it enters by a deadly draught; and steals our life away.”

screen shot 2019-01-16 at 16.30.32

Heureusement, une série de nouvelles lois, dont le Gin Act de 1851, met fin son emprise.

Il faudra attendre les Victoriens pour que le gin retrouve une certaine popularité. C’est l’époque des gins palace, ces pubs sur-décorés aux belles boiseries et brillants miroirs, dont vous pouvez voir un magnifique exemple à Holborn, au Princesse Louise.

Le gin & tonic

Venons-en maintenant à l’origine du plus fameux des cocktails à base de gin: le gin & tonic. On doit cette délicieuse invention aux marins de la British Royal Navy. Leurs rations comprenaient du gin plutôt que de la bière (celle-ci voyageant mal), ainsi que des citrons verts pour combattre le scorbut, et de la quinine, contre la malaria. La quinine, contenue dans le Indian Tonic Water ayant un goût très amer, on rajoute du gin pour faire passer tout ça. Le gin & tonic devient la boisson préférée des officiers du Raj en Inde. Et en parlant de tonic water, la boisson phare du moment n’est pas faite par Schweppes, mais par Fever Tree, une marque qui connaît un énorme succès depuis quelques années.

Screen Shot 2019-01-16 at 16.53.57.png

Le gin forme également la base d’autres cocktails très British, comme le martini ‘shaken not stirred’ de James Bond, et le gin & Dubonnet apparemment savouré par la reine Elizabeth tous les jours avant son lunch.

La renaissance du gin

En 2008, Sipsmith s’est vu remettre la première licence de distillateur de gin accordée depuis 1820. C’est le début d’un véritable boom à Londres et dans tout le pays. On peut dormir au Distillery, un boutique hôtel/distillerie sur Portobello Road; faire des visites guidées et dégustations avec Gin Journeys; acheter des cannettes de ready-mixed en supermarché; et les Tanqueray et autres Hendrick’s ont de la concurrence, avec des petits producteurs basés un peu partout, de Highgate au East End. Vous pouvez goûter à 500 différents gins au Gin Bar, à Holborn, ou aller faire un tour au très kitsch Mr Fogg’s Gin Parlour à Covent Garden, ou faire une dégustation au London Gin Club.

Sur ce, cheers!

Leave a comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.