Saviez-vous qu’en ce moment, en Angleterre, la catégorie à risque de succomber au Covid est en train de changer: les plus touchées par le virus seraient les femmes, jeunes. Du fait de leurs métiers, dans les professions où il y a beaucoup de contact humain. Mais aussi à cause d’un problème qui parait complètement fou en 2020: les équipements de protection individuelle (PPE) ne sont généralement pas à leur taille…

L’importance, parfois vitale, d’avoir des uniformes et protection adaptés, plutôt que des tailles S masculins, c’est l’un des thèmes percutants d’un excellent livre sur le “data bias” (le problème des données biaisées) paru l’année dernière: le bestseller Invisible Women de Caroline Criado Perez (en français chez Éditions First), gagnant du Royal Society Science Book Prize.
Cette militante des droits de la femme montre, chiffres à l’appui, comment notre monde est construit pour et par les hommes, et comment on ignore systématiquement la moitié de la population, qu’il s’agisse de la sécurité d’une voiture, de la taille d’un téléphone portable, de fabriquer systèmes de reconnaissance vocale ou de tester de nouveaux médicaments…

Pas étonnant qu’elle cite Simone de Beauvoir, qui en 1949 écrivait déjà dans Le Deuxième Sexe: “La représentation du monde, comme le monde lui-même, est l’opération des hommes ; ils le décrivent du point de vue qui est le leur et qu’ils confondent avec la réalité absolue.”
En cette période de pandémie, ses arguments sont cruciaux: ne pas tenir compte des différences entre homme et femme dans les recherches contre le Covid pourrait être mortel. Comme l’explique Dr Cara Tannenbaum dans cet article du Guardian, “Women are not just small men. We have different hormones [levels], smaller kidneys and more fat tissue where drugs can accumulate. There’s so many reasons why things can go wrong.”
Soit dit en passant, de nombreuses scientifiques comme Dr Tannenbaum on eu bien du mal à continuer à travailler pendant le lockdown (contrairement à leurs collègues masculins. Et en plus, on les ignore en tant qu’expertes: “We are frustrated that our work is being overlooked and misrepresented in the media. We’re exhausted knowing that after this is all over we will have a powerful fight on our hands to reclaim the professional ground that is slipping away from us during this emergency.”

Pourtant, comme le répète l’association Women in Global Health depuis des années, la sécurité sanitaire mondiale dépend des femmes, qui représentent 70% des travailleurs de la santé dans le monde (et bien sûr, ce ne sont pas “que” des infirmières!):

De plus, la crise du Covid ne met pas seulement en lumière les gender bias et gender gap existants depuis toujours, mais en plus les aggrave: les femmes risquent perdre leurs avancées dans le monde du travail; leur droit à la contraception et à la santé; moins bien payées que leurs maris, on s’attend à ce qu’elles travaillent depuis la table de la cuisine, en s’occupant des enfants en même temps… Et cela sans parler de la hausse des violences domestiques dans le monde entier depuis le début de la crise.
Heureusement, les choses – notamment depuis la parution du livre de Criado-Perez, semblent bouger dans le bon sens, et l’invisible est en train de devenir très visible, par exemple avec un nouvel outil de l’ONU surveillant les réponses des gouvernements en terme de protection des femmes.
La pandémie et la crise économique, à plus long terme, sera peut-être un nouveau départ pour le droit des femmes? Il nous faut vite remplir ce data gap, pour qu’enfin la femme soit un être humain à part entière, et non pas une copie d’un homme de plus petite taille, à laquelle on ne comprend pas grand chose – puisque l’on ne l’a pas étudiée.