Le meilleur film britannique de l’année, c’est un spy movie sans courses de voiture improbables, sans scènes de cascade à n’en plus finir, et donc sans Agent 007. La semaine dernière à Londres ont eu lieu les BAFTAs (l’équivalent des Oscars au UK). Évidemment, c’est l’excellent The Artist qui a tout raflé, comme partout. Mais l’autre grand film de la soirée, c’était Tinker Tailor Soldier Spy, une adaptation d’un livre de John Le Carré (l’ancien espion dont les romans à succès sont devenus des classiques de la littérature anglaise) par le réalisateur suédois Tomas Alfredson, l’auteur de Let The Right One In (Morse).
Produit par les Français de Studio Canal, Tinker Tailor a été sélectionné dans 11 catégories aux BAFTAs, et a finalement gagné les prix du Meilleur Film Britannique et Meilleur Script d’une Adaptation (il est aussi sélectionné pour trois Oscars). Malgré son titre pas très inspiré en français, La Taupe, Tinker Tailor semble avoir fait recette en France comme en Angleterre. Si vous n’avez pas encore vu ce très beau film, en voici la bande-annonce:
Bon je vous préviens tout de suite, au début il faut s’accrocher. On est à Londres dans les années 1970s, c’est la guerre froide, et devant nous s’agitent tout plein d’espions du MI6, que des mecs assez posh bien sûr, puisqu’ils étaient tous recruté dans les public schools du pays. Ils se parlent en utilisant tout plein de jargon: le Circus, c’est les bureaux du MI6, les Babysitters, ce sont les gardes du corps, les Mothers, ce sont les secrétaires, et les Cousins, la CIA. La trame du film, c’est qu’il faut débusquer un agent double qui travaille pour les Russes, et est caché au plus haut sommet de la hiérarchie des services secrets de sa majesté.
Ce film est un who’s who des stars du cinéma anglais: Control, le chef du service, est joué par John Hurt (Elephant Man), Smiley, le héros, par l’excellentissime Gary Oldman (JFK, Léon) et son allié le jeune espion Peter Guillam par Benedict Cumberbatch (Sherlock). Quant aux haut-gradés, ceux aux manettes du MI6, tous soupçonnés d’être la fameuse taupe du titre, ils sont incarnés par Colin Firth (The King’s Speech), Toby Jones (Frost/Nixon) et Ciarán Hinds (There Will Be Blood). Le suédois David Dencik joue le quatrième suspect. Quant à Mark Strong (Kick Ass) et Tom Hardy (Inception), ils jouent les agents spéciaux envoyés en mission en Europe de l’East. Bref, un casting du tonnerre.
Le scénario de Bridget O’Connor et Peter Straughan est excellent. Le couple est parvenu à condenser un roman à l’intrigue très complexe en un puzzle qu’il nous faut reconstituer petit à petit, à l’aide de nombreux flashbacks de Smiley, qui tente de se rappeler ses échanges avec ses collègues pour trouver l’agent double. Seul un changement dans la couleur des montures de ses grosses lunettes nous aide à savoir dans quelle période on se trouve.
J’ai énormément aimé les très beaux costumes et décors parfaits, avec murs oranges et bruns, salles pleines de poussière, chaises en plastique coloré, vieilles radios, et des vues romantiques d’Istanbul et Budapest. C’est une très belle immersion dans les années 1970s. (Les couleurs et l’ambiance de la guerre froide rappellent beaucoup le très beau film allemand La Vie des Autres.) La scène de la fête de Noël dans les bureaux du Cirque, et de l’atmosphère qui régnait dans ses bureaux si secrets (selon Le Carré, ils se faisaient souvent réprimander par la police pour tapage nocturne lors de ces soirées de fin d’année), avec les agents chantant L’Internationale en russe, est excellente.
Et finalement, un mot aussi sur la réalisation: avec des plans décadrés et des jeux d’ombre et de lumière, Alfredson parvient a créer une atmosphère mystérieuse, désorientant le public qui comme Smiley tente de trouver la taupe dans ce labyrinthe qu’est le MI6. On voit des bouts de gestes, l’arrière de la tête des personnages, des scènes entières à travers des fenêtres et des angles bizarres – et on s’y croit vraiment. Et en plus, on ne voit jamais l’ennemi no 1 russe, ni la femme de Smiley. Un film à énigme, un vrai…
En tout cas, cela m’a donné envie de lire le livre et de regarder la minisérie de la BBC sur Tinker Tailor, qui date de la fin des années 1970s et qui a été très appréciée ici. Et Si vous ne connaissez pas l’oeuvre de John Le Carré, lisez le superbe The Constant Gardener (La Constance du Jardinier). Le film tiré de ce roman est également excellent…