Point de rendez-vous et symbole de Londres (il figure sur le logo du quotidien local, l’Evening Standard) , la statue du joli Cupidon sur Picadilly Circus est sans doute la plus connue de la capitale. On prend souvent ce chérubin, avec son arc et ses flèches, pour Éros, le dieu de l’Amour. En fait, il s’agit de son frère Antéros, dieu de l’amour mutuel, qui punissaient ceux qui sont cruels ou manipulateurs en amour.
Antéros étant connu à son époque comme le dieu de l’amour désintéressé, le sculpteur de cette statue érigée en 1892, Alfred Gilbert, a décidé d’en faire le symbole de l’amour pour autrui et de la charité. Le titre officiel de ce petit angelot en aluminium, c’est le très sérieux The Angel of Christian Charity, ou Shaftesbury Monument Memorial Fountain. Car cette statue n’est pas la pour créer des coups de foudre sur Picadilly Circus, mais pour commémorer Lord Shaftesbury, l’un des plus grands philanthrope qu’aie connu le Royaume-Uni.
Homme politique de l’époque victorienne, Anthony Ashley Cooper, septième comte de Shaftesbury, était un réformateur social extraordinaire. L’instauration de loi sur le traitement des patients des asiles psychiatriques (auparavant enchaînés et traités pire que des animaux), c’est lui. Le Ten Hours Act, interdisant le travail des enfants de moins de 9 ans, et limitant à 10 heures celui des moins de 18 ans, c’est encore lui. L’interdiction aux femmes et aux enfants de travailler dans les mines de charbon, c’est toujours lui. Le défendeur des petits ramoneurs et supporteur des écoles gratuites pour les pauvres, les Rag Schools, lui aussi.
Comme l’a un jour écrit l’une de ses biographes, Georgina Battiscombe: ‘No man has in fact ever done more to lessen the extent of human misery or to add to the sum total of human happiness” (Aucun être humain a agit plus pour alléger la misère humaine ou faire grandir la somme totale du bonheur des hommes).
À l’origine, Anteros pointait son arc en direction du Parlement (et non comme certains le prétendent visant Shaftesbury avenue, ou la pointe ‘shaft’ de sa flèche irait s’enterrer ‘bury’), rappelant le travail de l’homme politique, et recommandant aux MPs de suivre le même chemin moral? C’est donc avec une ironie certaine que le travail de ce grand philanthrope victorien est aujourd’hui commémoré par un petit dieu tout nu – cela a fait scandale à l’époque – qui est connu par tous comme Éros, dieu de l’amour frivole et immature, et un symbole parfait des bars de Soho et des théâtres qui l’entoure.
En tout cas Antéros en a vu des amoureux passer sous son nez:
Photo: London Stereoscopic Company, London 1910
Vieille carte postale, année 1960
Point de rendez-vous des touristes, 2010