Illustration: Soul of the Soulless City via Minecraft, Tate Modern Project
Londres est-elle en train de perdre son âme? Partout poussent des tours destinées à être des clapiers de luxe, voir des bureaux toujours à moitié vides… Au moins 230 gratte-ciels de plus de 20 étages doivent être construits dans la prochaine décennie. C’est la vengeance du verre sur la brique et la Portland stone. Avec ses tours viennent des espaces publics qui ne le sont pas vraiment, les privately owned public spaces comme à Paternoster Square (où les manifestants ne sont pas bienvenus…).
Viennent aussi des espaces aseptisés, sans charme, aux angles droits et baies vitrées, qui sont à l’opposé du Londres que j’aime, ce joyeux foutoir architectural. C’est le fric qui règne, comme toujours dans la capitale, mais cette fois cela va trop loin – trop loin en direction de Dubai, je veux dire. Les quelques belles façades qui restent ne sont justement que des façades, les bâtiments dont elles formaient la devanture étant démoli pour pouvoir construire encore plus de bureaux open-bland. Tout cela me fait penser à Singapour, avec ses différences d’échelles incroyables et cette sensation d’être dans une vitrine plutôt que dans une ville.
Une ambiance, un bout d’histoire, un coin un peu secret… cela se perd vite, et finalement, entouré par ces tours, on pourrait être n’importe où. Même les pubs, ces lieux si typiques et accueillants, sont menacé – la plupart sont transformés en, je vous le donne en le mille, appartements de luxe… Cela rapporte plus. Des endroits comme Soho perdent leurs institutions et leurs néons (notamment Madame Jojo’s); des marchés de Camden et Spitalfieds sont tout refaits, brillants comme des centres commerciaux; et maintenant c’est au tout de Tin Pan Alley, adoré des musiciens, d’être menacé. À quand le tour de Chinatown? Je ne parle même pas de Leicester Square, un scandale depuis des années, et qui pour empirer la situation va troquer un cinéma art déco pour un truc ultra-fade. Qu’est-ce qu’on s’ennuie!
Il n’y a pas que les buildings: les gens aussi changent. Enfin plutôt ils s’en vont. La hausse des loyers (je vous en parlais déjà ici) fait que certains n’ont pas le choix; d’autres, comme les jeunes familles par exemple, préfèrent Birmingham, Bristol ou Nottingham, où tout est moins cher qu’à Londres. Comme l’explique cet article, c’est l’âme de la capitale qui est en danger. Certains quartiers, où les maisons aux prix exorbitants appartiennent à des gens qui ne passent que quelques jours par an à Londres, se vident et deviennent des villes fantômes. Quant au centre historique, c’est simplement un parc d’attraction pour touristes, disent certains Londoniens. Ici tout est à vendre: la London Eye à Coca Cola, le télécabine à Emirates…
Et enfin, les commerces et restaurants: l’avalanche de chaînes s’est transformée en tsunami, avec les mêmes dix marques occupant chaque coin de rue – dans la City, on peut à présent voir le prochain Prêt à Manger depuis celui où l’on se tient (un peu comme les stations de métro à Paris, mais en pire). Les loyers commerciaux du centre sont eux aussi trop chers pour permettre aux indépendants de se lancer. Ils sont repoussés dans les marges et dans les banlieues. D’où cette engouement pour les food trucs, des pop-ups, des supper clubs…
Avant de me prendre pour la pessimiste de service, comprenez que je ne suis pas la seule à avoir ce sentiment: ces derniers mois, j’ai entendu “The game is up for Zone 1; soon it will exist only as a nucleus of tourist hell, the city will become defined by its sprawl and the heart of it will be like Centre Parcs”, sur Vice. “The future is a clean, dull city populated by clean, dull rich people and clean, dull old people. The future is joyless Michelin-starred restaurants and shops selling £3,000 chandeliers,” suggère The Telegraph. Londres est en proie à une crise d’identité, explique Citylab. Et tout récemment, The Guardian a renchéri, se demandant “Are we loosing the London we love?”
Est-ce le prix à payer pour un nouveau King’s Cross, un nouveau parc olympique, une nouvelle Battersea Power Station, un nouveau métro géant (Crossrail)? Maybe… maybe not.