Héroïne ou traitresse? Gina Miller, 54 ans, est une businesswoman qui par deux fois a mené combat contre le gouvernement, et gagné. Son but: faire respecter l’État de droit en s’assurant que le parlement britannique ait son mot à dire dans toute décision importante, et en empêchant le Premier ministre et son cabinet de s’octroyer des pouvoirs qu’ils n’ont pas. Résultat des courses, elle a mis des bâtons dans les roues des Brexiteers et est devenue ennemie No 1 des extrémistes de droite.
Mais qui donc est cette activiste qui a décidé de devenir le fer de lance de ces deux contestations judiciaires très médiatisées, au mépris des menaces de mort et des insultes racistes de ses opposants?
1. Une Cendrillon qui a combattu de nombreux dragons
Née au Guyana (alors colonie britannique), Miller arrive au Royaume-Uni à l’âge de 11 ans, pour y étudier dans un internat de fille près de Brighton.
“J’ai quitté la Guyana pour aller à l’école à Eastbourne avec mon frère aîné, laissant nos parents derrière nous, mais lorsque le pays a été mis sous «verrouillage», ils n’ont pas été en mesure d’envoyer de l’argent au Royaume-Uni. Heureusement, ma mère avait eu la prévoyance d’acheter une propriété près de nos écoles et c’est là que nous vivions – j’avais 13 ans et mon frère, 15 ans. Le week-end et deux fois la semaine après l’école, je travaillais dans des hôtels comme femme de chambre ou nettoyeuse au restaurant. Mon frère distribuait les journaux et faisait la plonge. Nous savions qu’il serait illégal de vivre sans surveillance jusqu’à ce que mon frère ait 16 ans. J’ai donc tout fait pour paraître plus vieille. Le matin, je partais à l’école avec des vêtements adultes et des talons hauts, puis je me remettais dans mon uniforme d’école dans une station-service. Nos parents nous manquaient terriblement et il était difficile de concilier vie familiale, devoirs et école, mais cela a forgé ce que nous sommes aujourd’hui.”

Et ce n’était que le début d’un vie pleine de haut et de bas : elle part étudier le droit à Londres…. mais abandonne ses études après avoir été victime d’une agression très violente dans la rue (des étudiants d’origine indienne l’auraient attaquée car elle ne se comportait pas assez en bonne Indienne – ce qu’elle n’était pas, évidemment…)
Elle se marie avec son copain, déménage à Bristol, et tombe enceinte… mais la grossesse est très difficile, et sa fille naît handicapée. Elle divorce 5 ans plus tard, et se retrouve parent seul, à manger des baked beans dans un one-bedroom flat à Londres, et travaille comme serveuse pour financer ses études de marketing.
Dans les années 1990s, elle fonde sa propre compagnie de marketing, comptant pour clients des médecins privés de Harley Street, et rencontre le succès, ainsi que son future deuxième mari, un businessman de la City… Mais celui-ci s’avère être un homme qui bat sa femme, et le mariage “turned out to be one of the biggest disasters of my life”. Divorcée, elle se retrouve à dormir dans sa voiture avec sa fille.
Mais comme tous les contes de fées, son histoire finit bien : elle se marie avec son prince charmant Alan Miller, un stock picker dont la fortune est estimée à £40 million, et qui partage ses convictions (ie ils payent leurs impôts au UK !). Ils vécurent heureux et eurent 2 enfants.
2. Une justicière sans masque
En 2016, la Haute Cour de Londres lui a donné raison en exigeant que le Parlement de Westminster débatte et vote sur l’engagement du divorce avec l’Union européenne. Et en 2019, la Cour Suprême, lui a donné encore raison, en jugeant que Boris Johnson avait enfreint la loi en suspendant le parlement.
‘Aujourd’hui, ce n’est une victoire ni pour un individu, ni pour une cause, mais bien pour la souveraineté parlementaire, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de nos tribunaux britanniques. Crucialement, cela confirme que nous sommes un pays régi par la loi,’ dit Miller sous les flashs des photographes venus assister au jugement.
Pourtant Miller n’avait pas prévu de passer sous les projecteurs : elle est devenue figure de proue des contestations judiciaires uniquement parce que le cabinet d’avocat Mishcon de Reya lui a demandé d’être l’une des plaignantes dans l’affaire. Au début, elle était une parmi trois, mais les deux autres, des hommes puissants et connus, ont abandonné par peur des répercussions.
3. Un bouc émissaire
Car avec ce succès face à la justice est venu un torrent de haine ; lettres d’injures, appels racistes et menaces de mort. Se faisant traiter de métisse, de primate ou de prostituée, elle emploie des gardes du corps 24/7, ayant dépensé plus de £60,000 en mesures de sécurité.
Et pas par paranoïa : en mai dernier, Rhodri Philipps, un aristocrate de 50 ans, a comparu devant un tribunal pour avoir, sur Facebook, offert « 5 000 livres à la première personne qui écrasera “accidentellement” cette putain d’immigrée de la première génération » et suggéré de la «renvoyer dans sa jungle puante ».
Ce mois-ci, alors qu’elle emmenait sa fille de 12 ans chez l’opticien après le jugement, « Les gens s’arrêtaient dans leurs voitures et baissaient les vitres et m’appelaient ‘traître’ en disant: ‘Il y a un lampadaire là-bas’. » Elle explique que “cela a changé notre façon de vivre et les conversations que nous avons avec les enfants”. Nous utilisons beaucoup l’humour car c’est le seul moyen de supporter tout ça. Je dois me rappeler qu’un jour où je ne reçois pas de menace – quand quelqu’un ne menace pas de tuer mes enfants, me décapiter, me violer – est un bon jour. »
4. Des idées et des idéaux
En 2009, elle utilise l’argent qu’elle a gagné avec son agence de marketing pour fonder une société d’investissement aidant les petites organisations caritatives : « J’ai réalisé que c’était mon argent, que je pouvais faire ce que je voulais avec et je l’ai donc utilisé pour promouvoir la justice sociale. »
Gestionnaire d’un fonds d’investissement avec son époux, elle s’est fait connaître (et détester par beaucoup) à la City avec leurs campagnes dénonçant les frais financiers cachés et les coûts de gestion excessifs dans le secteur de la philanthropie. « Je me décrit comme une capitaliste consciente. Je crois que la responsabilité de tous ceux qui réussissent est de redonner à la communauté qui a permis leur succès. C’est le pilier central de mon être. Ça sous-tend tout ce que je fais. »
5. Elle grimpe toujours plus haut
« J’ai fait de l’escalade free-climbing à travers le monde: Gozo, Namibie, Wattenberg, l’Amazone. L’escalade est un défi physique et mental qui nécessite toute ma concentration et permet à mon cerveau hyperactif de se détourner de tout le reste. La roche vous présente un casse-tête que vous résolvez par des mouvements corporels alignés sur la discipline mentale. C’est une activité neuromusculaire et quand j’atteins le sommet, la vue me coupe le souffle et me rend humble. »
6. Son père ce héros:
La pomme ne tombe jamais loin du pommier: à 14 ans, son père ne savait toujours pas lire ni écrire, et travaillait dans une station- service. Incroyablement, il est ensuite devenu un juriste éminent, leader de l’opposition et le procureur général du Guyana. « Mon père était un fervent partisan de la justice sociale. Le respect de la loi et la transparence ont toujours été le sujet de discussions à la maison. Quand j’étais petite, j’allais au tribunal et m’asseyais au fond de la pièce pour l’écouter. Il m’a inspiré la conviction qu’il faut toujours aider les moins fortunés que soi. »
7. La voix de la sagesse
Je serai la première à voter pour elle si elle se présentais pour remplacer le maudit Boris, mais Miller est plus intéressée par la politique sociale (policy) que la politique politicienne des partis (politics). Ce qui est sûr, c’est qu’elle continuera à se battre pour défendre l’état de droit. « J’ai été une militante pendant vingt ans – je suis habituée à prendre des coups». En attendant, vous pouvez toujours livre son livre, Rise.
«Je n’ai jamais eu peur de poser les questions qui fâchent, conclut-elle. L’expérience m’a appris que lorsqu’on refuse de répondre, c’est souvent qu’on a quelque chose à cacher.» Ses autres conseils: dans la vie, il ne faut jamais rien prendre pour acquis; l’éducation était le cadeau le plus précieux; et que la gentillesse est une force et non une faiblesse.
Comme on dit ici, she’s bossing it.