
La situation en Ukraine choque autant ici que dans le reste de l’Europe. Les Anglais se mobilisent, que ce soit en vendant des gâteaux à l’école pour récolter des fonds pour les organisations caritatives, en donnant des vêtements chauds et médicaments à des initiatives privées qui organisent des camions vers la Pologne, ou encore en s’inscrivant pour accueillir des réfugiés Ukrainians – le site web officiel a crashé face à la demande. Le Disasters Emergency Committee a récolté plus de £100 millions en quatre jours. Quant aux Russes vivant ici, ils appellent des inconnus dans leur pays pour tenter de leur faire comprendre ce qui se passe vraiment en Ukraine.
Plus symboliquement, les supermarchés ne vendent plus des chicken kiev mais des chicken kyiv; un restaurant polonais a créé un cocktail Zelenski; certains restaurants russes reversent une partie de leurs revenus pour soutenir l’Ukraine; la statue St Volodymyr est entourée de fleurs et de messages; il y a même un grand drapeau ukrainien qui flotte dans mon quartier… Certains demandent que la rue où se trouve l’ambassade de Russie soit renommée Zelensky Avenue (un project soutenu par le maire de Londres).

Mais on ne peut pas dire que le gouvernement britannique soit aussi efficace que ses citoyens. Non seulement le Home Office, notoirement xénophobe, n’a pas su accueillir un flot de réfugiés de manière efficace, mais en plus on pourrait même dire que sans le support/l’apathie des hommes politiques anglais ces dernières années, Poutine n’aurait jamais pu devenir si puissant.
Comme je vous l’expliquais en 2018 dans mon post Bons poisons de Russie, entre le Royaume-Uni et la Russie, c’est toute une histoire…
Boris Johnsonov
“Un dirigeant ouvertement corrompu et manifestement narcissique, entouré d’une phalange d’acolytes accommodants, a enrichi ses partisans avec des actifs publics liquidés et de faux stratagèmes gouvernementaux, a violé de manière flagrante les traités internationaux, a saccagé les normes politiques nationales, a systématiquement inondé les médias sociaux de fausses nouvelles, a utilisé son pouvoir sur la presse pour répandre la désinformation pendant de nombreuses décennies, a cherché à déstabiliser l’UE, a eu des réunions fructueuses avec des personnalités d’extrême droite en Europe et en Amérique, a militarisé le nationalisme nostalgique et a permis aux réfugiés d’être utilisés comme chair à canon dans un conflit frontalier en cours.”
Comme l’écrit le comédien Stewart Lee dans le Guardian, les similarités entre Boris et Vladimir ne sont pas des moindres. Heureusement, l’incompétence des Conservateurs est telle qu’on ose espérer que les risques soient bien moins élevés par ici.
Par contre, cela fait des années que les Tories prennent l’argent des oligarques sans se poser trop de questions; ils ont même fait d’Evgeny Lebedev, grand ami de Boris et fils d’un ancien du KGB, un peer (membre de la House of Lords) malgré les risques de sécurité.
Pourtant, l’Angleterre ne dépend pas tant que ça de son gaz (environ 5% par rapport au reste de l’Europe, pour qui ça représente 40% des sources d’énergie). C’est plutôt à travers des compagnies opaques que cette emprise a lieu. Cet article du New York Times explique comment ‘les oligarques ont acheté Londres‘. La City de Londres est une plaque tournante du blanchiment d’argent depuis toujours, comme l’explique ce long article, How Britain Let Russia Hides its Dirty Money.
Ne pas réveiller l’ours…
Ces ‘amitiés’ et cet argent russe arrosant la capitale expliquent sans doute le manque de réaction du Royaume-Uni quand la Russie a envahi la Crimée; quand ils ont tué un dissident en plein coeur de Londres avec des sushis empoisonnés, quand ils ont détourné un vol Ryannair en Bielorussie pour mettre la main sur un autre dissident, et j’en passe et des meileures (cf Bons poisons de Russie) jusqu’à les laisser tuer une citoyenne britannique à Salisbury (sans le vouloir, mais quand même!). Il n’y a eu pratiquement aucune répercussion sur la Russie (ou ses oligarques) à la suite de ces actes complètement incroyables.
La première guerre de l’information
L’autre pendant de ces relations un peu trop ‘cosy’, c’est que les Russes on sans aucun doute manipulé le référendum du Brexit avec ce que l’excellente journaliste Carole Cadwalladr appelle à juste titre la Première Guerre de l’Information. Depuis des années, elle nous avertit de la menace que fait planer Facebook et compagnie sur nos démocraties, et comment les Russes s’en sont servis pour influencer les gouvernements étrangers. L’histoire lui donne malheureusement raison, mais optimiste, elle suggère que les réseaux sociaux sont maintenant une arme brandie par les Ukrainiens et leurs alliés.
Grace aux activistes comme les Anglais de Bellingcat, qui recensent toutes les infractions commises en passant au peigne fin les informations publiques sur internet, les images satellites et les conversations non-protégées entre militaires, cette guerre de l’information ne peut qu’être perdue par la Russie.